Je
vais la désigner ainsi : Fa. D'abord parce que je ne me sens pas le
droit de parler d'elle sans son autorisation. Ensuite, je trouve que ça
lui va bien, tout bêtement. Essentiellement dû au fait que cette
quatrième note de la gamme symbolise pour moi l'inimaginable. Douze
notes, si on compte les dièses et une infinité, toujours renouvelée, de
combinaisons, au fil du temps. C'est au moins aussi magique, miraculeux,
que le langage.
Fa
m'a fait cette impression dès notre second rendez-vous (faut dire que le
premier, j'ai pas vu grand-chose, sonné que j'étais d'être entrain de
mourir à petits feux) : elle a eu l'exacte distance absolument
nécessaire, essentielle, vitale même qui doit être « lancée » entre le
médecin et son patient. Sans laquelle, il ne peut y avoir de tentatives
de guérison. Elle m'a, bien entendu, automatiquement vouvoyé. Mais
c'était un vouvoiement complice, un peu comme on peut ainsi l’entendre
dans les couples vieux-jeu. J'ai rien compris de ce qu'elle m'a
expliqué...ou plutôt, j'ai trouvé ses explications inutiles (dérisoires
puisque j'allais mourir)...mais grâce au son de sa voix, elle a su
tisser un lien entre moi qui sombrait, et elle qui était le quai.
Un an après, lors d'une consultation, elle m'a avoué, au détour d'un geste médical : « Vous allez bien, Monsieur Chose ? »
« Oui, ça peut aller... Grâce à vous, docteur, grâce à vous...je ne vous remercierai jamais assez... »
« Mais
je n'y suis pour rien... Et franchement, l'an dernier, on m'aurait dit
que je vous aurais revu à la fin de l'été... Vous croyez en Dieu,
Monsieur Chose ? Vous revenez de loin, vous savez. Vous avez failli
mourir l'an dernier. Vous tardiez quinze jours de plus et vous auriez
déclenché de manière irréversible le sida. » .