vendredi 29 juin 2012

36 - Amenuisement

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« Y'en a, vraiment... Mais vous, vous êtes propre ! » Le type sur le siège passager – que je ramène dans son quartier – exprime sa joie ainsi. Content de vivre, le gamin, parce que sa capote était restée nickel-propre en ressortant... Lui dire qu'il peut me tutoyer désormais ? A quoi bon ?

p237Néanmoins plus bavards, la conversation s'engage. Enfin lui, surtout, parle. Moi, je repense à la première fois que je raccompagnais Maki. Y'a de plus en plus de jeunes, heureusement pour lui. Ben oui, 52 balais sculptent mon corps. Trente années nous séparent après qu'une seule envie nous ait jeté dans les mêmes draps. Tiens, il connait David G... ? Il confirme. Nous n'en disons que du bien. David est un vieux pote. En plus d'être content, le gamin s'avère gentil.
Peut-on ? Doit-on ? Pourquoi faire le deuil d'un amour ? Tout s'amenuise : la chaleur suffocante de ces derniers jours, le gamin satisfait à l'aube de sa vie, l'histoire de Maki.
p238

dimanche 24 juin 2012

28 – Egaré

p237Habituellement, au sein d'une foule, au milieu d'un groupe, un détail en amène un autre. Leur somme constitue l'évènement. Normalement. Les choses se produisent dans un déroulement logique sinon attendu. Mais là, depuis le départ de Maki, rien ne s'enchaine.

p238Le sens des choses m'échappent. Tout détail devient en soi un événement d'importance universelle. Et l'absurde sensation de se sentir oublié, seul, perdu, envahit chaque instant d'un quotidien on-ne-peut-plus ordinaire.

De fait se métamorphose-t-il en extraordinaire. Qu'aucune douche ne parvient à nettoyer. Usant.
Les mots d'habitude si paternels ne me protègent plus. Cette absurde sensation d'être égaré en terre étrangère s'insinue au creux de tous les pores de ma peau. A la caisse de cet hypermarché – noyé par les bruits infernaux d'une journée ordinaire qui s'achève enfin – mon regard humide croise celui de ce bébé. Effrayés, perdus, lui et moi. 52 ans devraient nous séparer. 52 ans nous relient. Lui commence, je termine – tous deux égarés.
papa poule

35 – Chaud et froid

Fleur du Male- Fleur de mâle...pour vous ou pour offrir ?
- Pour offrir...mon fils...
Ce dernier Jean-Paul Gaultier s'ajoute au jeans Benetton, au pull Dior, à la paire de Feiyue... Non-exhaustive. A chaque fois, une petite saynète sur mesure. Pour me permettre d'affronter la cruauté des regards. L'illusion d'une nouvelle carapace pour oser affronter les pluies acides de ce quotidien devenu con.

pluiePourtant le lien se renoue peu à peu. Avec les autres. Avec Maki aussi qui recommence à causer... pour me décliner sa solitude familiale... sociale... amoureuse... Quoi ? Il ne m'a pas quitté pour un autre ? Cet autre est un leurre ? C'est quoi ce chaud après le froid ???

Il insiste. Alterne voix sèche et ton humide. Un regret pointe ? Erreur ! Ma faute à moi ! En fin de compte, mes boutiques sont sa punition. Noyé par l'absence d'argent, rejeté par le désert des relations... Loin de tout, condamné à sentir le monde de loin.
grilles

mardi 19 juin 2012

34 – Stupeur

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Le flot me porte ou est-ce moi qui navigue parmi eux ? Les gens déambulent, rient, se parlent au sein de grappes grouillantes. Les chariots encombrent la galerie marchande. Des éclats de voix, des visages avenants, étranges, singuliers, tous pareils. Incompréhensibles. Tout cela n'a vraiment aucun sens.

p234
Alors je stoppe tout : acheter, me nourrir, me distraire. A quoi bon tout ça ? La saveur peu à peu disparait. Mon chariot bloque le flot. Ils râlent mais je m'en fous. Plus rien ne m'atteint puisque plus rien ne m'importe. Flotter, planer, s'isoler.
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Salvatrice stupeur paralysant la réalité, du coup indolore. Mon regard se vide, s'éteint. Du moins je le veux ainsi. Il semble que la noyade soit évitable si je bloque l'extérieur. Regarder, ne rien voir. Entendre, ne rien comprendre. Ils ne sont qu'une façade ridicule. Des larmes viennent troubler ma vue.



[ jīng hún wèi dìng ]


Être nerveux encore après la terreur peut se dire [jīng hún wèi dìng] en Chinois :

vendredi 15 juin 2012

33 – Folie

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Les mêmes affres. Celles de la séparation. Coupure. Culpabilité.




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Ma laideur. Insultes, crachats épais au miroir. Insomnies, cauchemars, sanglots sanglants. Saleté du corps, odeurs repoussantes fidèles à l'image renvoyée. Appétit minimal, kilos à perdre puisqu'il me rejette.
Et des sms. Une logorrhée de sms. Toute la nuit. Un torrent. Une rivière. Un fleuve enfin. Des mots méchants, hideux, sales. Mouillés des larmes salées. Et puis des excuses. Plates. Inutiles. Vaines. Aucune réponse de toute manière. N'importe quoi ensuite : kvidjio gugodgiojov hdyeèyeèyzèe zyèysy dydèsyt èdystèy dètyrèisytièhèifhè resd hf. Ou quelque chose dans ce genre-là.
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Et on éteint le portable. Eviter qu'il ne serve de potence. Il y a bien une vague idée de mort volontaire. Mais lointaine, l'idée. Evanescente, puisque j'écris ici que... Sauter en l'air... Boum !

jeudi 14 juin 2012

32 - Usures


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Le jour s'ébroue enfin. Projetés telles des gouttes, des souvenirs étincellent dans l'encore-nuit de la chambre silencieuse. Parmi eux, ce regard foncé qu'une bougie ne parvenait que faiblement à éclairer. Le voulait-elle, d'ailleurs ? A quoi bon, puisqu'il réintégrera sa caserne, dimanche soir à Karlsruhe ! A quoi bon l'éclairer ? L'imprimer, le retenir, son visage émacié dans ma mémoire. ? Nous fêtions mes 19 ans, ce vendredi soir-là.
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Amis, nous disions-nous. Amants, je fantasmais, depuis nos 17 ans. Et là, vêtu de son uniforme kaki, la nuque rasée, adjudant très mâle, il abandonnait sa jeunesse houleuse par de vagues allusions graveleuses. Le jeu de cartes ne fut qu'un prétexte pour lui. Ma première nuit dans les draps d'un mec.
Pourquoi est-ce ce vieux souvenir d'une première fois qui me revient en mémoire ? Maki parti, dois-je vraiment revoir défiler tous ceux-là qui ont compté ? Pierre-Maki : deux bornes séparées de 32 ans. Tracer une ligne entre eux, qui ne sera jamais droite. Mes 52 ans n'y feront rien : c'est toujours aussi usant d'être quitté.
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mardi 12 juin 2012

31 – 送别 Adieux

loup


La place se vide. Bientôt déserte, je la traverserai, seul. Nul, à mes côtés, ne me dira la direction. Reconstruire un quotidien. Hésitations d'un enfant de 52 ans...ridicule ? On s'en fout, la place est vide. 


dance

Recherche de bras paternels. Mais où se rendre ? La quête d'une vie entière, peut-être vaine. Et la quête. Et la vie. La vie se vide. Bientôt déserte, je la traverserai seul. Ou pas. Rester au bord de cette route-là. Fatigué. Usé.
Dégoûté et écœuré. Vidé. Veillées funèbres pour des serments trahis. Oraisons des amants. Lui dire adieu, puisqu'il le faut. Mais comment ?

Faire ses adieux à quelqu'un, en Chinois, peut se dire [sòng bié] :
送别 sòng bié faire ses adieux




                                                                  


(La photo du couple est issue du blog de EPIPHANYNoir, extraite de l'article Danza Del Inamorato en date du 22 mai 2012. Merci de visiter ce superbe blog de Christopher Cushman)

dimanche 10 juin 2012

30 – 隔膜 Malentendu (partie 3/3) : La fatigue

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Maki est parti. La porte a claqué ? Même pas ! Cruelle douceur. Des larmes. Les miennes, entrecoupées de hoquets. Monde sans valeur. Monde sans saveur. Les mots atones résonnent dans mon tympan. Douleur muette. Maki, à jamais, parti. Trahi.

p226 


Mon père me manque. Me consoler de cette immonde tristesse. La fatigue, comme nécessaire, devient l'ossature, le squelette, la structure d'un quotidien liquide, informe, dégoûtant. Blessé.

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Le malentendu éclairé. Maki est parti. La porte résonne encore à mes oreilles. Cruelle douleur stridente au dedans de ma poitrine. Indicible déchirement. Le monde s'émiette.

jeudi 7 juin 2012

29 – 隔膜 Malentendu (partie 2/3) : La montre

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Le temps ne me soucie vraiment pas. Le présent, parfois parcouru d'un frisson nostalgique, se suffit à lui-même. Le premier vrai miracle consistant à le vivre tel. Aussi cette montre à mon poignet... Peut-être ? Depuis, le temps – devenu corps mort – se liquéfie. Chaque chose, avant si précieuse, témoin d'une Vie illogique, devient inutile, absurde. Aussi cette montre...p222



M'aimes-tu ? La question paraît pourtant si simple, naturelle. Une réponse alambiquée ne s'imposait pas. La logique aurait voulu un « oui » voire un « non ». Aussi ce « peut-être » s'est avéré singulièrement dévastateur. Peut-être quoi ? Peut-être tu m'aimes ? Peut-être tu ne m'aimes plus ? Peut-être tu ne m'as jamais aimé ? Le doute, curare instillé par cette réponse sibylline, me paralyse.

Le temps se déstructure. Tout glisse. Et je regarde sans les voir, les choses se produire, indifférent au quotidien. Aussi, pour lui rendre une adhérence, la montre s'est imposée. Du moins permet-elle de l'ossifier, de le rendre consistant.
p224

lundi 4 juin 2012

28 – 隔膜 Malentendu (partie 1/3) : Peut-être

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Des ouvriers viennent de terminer l'enduit de la façade de la maison. Rouge orangé. Logique, depuis tout petit, je lui ai toujours connu cette teinte. Au fond du parc, un rideau de peupliers ondule allègrement au gré du vent d'Est. Les feuillages bruyants sont d'un vert bistre. Au de-là, le ciel est bleu, parfumé des embruns du soleil couchant. Peut-être...





p219






Rien de tout cela ne semble évident. Ni logique ni naturel pourtant. Ce décor s'encadre dans la fenêtre depuis des années pourtant. C'est là. C'est attendu. Quelques hirondelles strient l'azur, revenues d'Afrique récemment, confiantes de retrouver leurs nids.
Maki vient de me répondre « peut-être ».


malentendu [gé mó]

L'incompréhension, le malentendu, peut se dire [gé mó] en Chinois :

samedi 2 juin 2012

27 – 温故知新 passé présent

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« Quand tu auras décidé ne plus vouloir de moi, je reviendrai ici t'attendre. » Mon pied martèle le sol poussiéreux, insiste pour imprimer sa mémoire. L'aura-t-il compris, cet état lamentable dans lequel il me jetterait s'il lui prenait de me quitter ?




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« Comme absent de mon corps, aveugle et sourd. Une descente abyssale. » Les mots tentent de baliser un avenir que je redoute. Tracer un chemin que Maki puisse emprunter pour me secourir. Le lieu originel de notre histoire, juste derrière ce banc, au pied d'un pin sec, noueux, odorant.




p218 

Cet endroit loin d'ici, j'y reviendrai. Cet été. Une dernière fois puis plus jamais. Le fuir, redouter un enfer connu. Tant de jours passés à attendre Che-Nen en son temps ! Blessures, encore mal refermées, qui se rouvrent sous les silences de Maki. Mon corps tout entier refuse ce supplice annoncé. Moqué, humilié, déchiqueté par la douleur de la perte



passé présent [wēn gù zhī xīn] 

Se souvenir du passé pour comprendre le présent, [wēn gù zhī xīn] :

58 – Mentir (partie 3/3)

 



D'où tu viens ? Sa question finit de déchirer le voile opaque de la nuit. L'odeur du café abolit mes espoirs. D'où tu viens ?, insiste-telle. En quatre mots, la douceur de Che-Nen devient un lointain souvenir. A quoi bon les mensonges ? Avec la nuit déchirée, les mots me viennent. Logorrhée sans pudeur – trop longtemps retenue – les mots dressent peu à peu un territoire inconnu, de moi et d'elle.






Un fou. Un fou égal de Dieu exprime une vérité compliquée. Toujours trompeuses, les apparences arrangent tout le monde, chacun sa part. Le père côtoie le mari qui héberge l'amant qui cache un pédé. Hypocrisie d'une décennie décevante. Désertés, les lits conjugaux se meuvent en enfers. La vérité, une fois énoncée, ne modifie pas la réalité ! Et même, contribue-t-elle à la fausser encore un peu plus.

Convenances respectées ? Alors tout va bien. Pas de capotes ? Pas d'amants ! Après dix ans de ce quotidien à la Feydeau, un malaise. Bref, sérieux. D'autres suivront, tous traités isolément. La mosaïque nécessite du recul. 2001, tel un tsunami, le mogwaï déferle. Enfin, un monde vrai ?